Serious game, escape game, ludopédagogie, autant de termes pour remettre au goût du jour ce l’on sait depuis très longtemps : le jeu est un moteur d’apprentissage adaptatif très puissant chez les animaux sociaux.

Se pose alors la question du lien entre apprentissage et jeu. Suffit-il de passer un bon moment pour apprendre. N’y a-t-il pas un effet de mode dans la gamification d’activités d’apprentissage ?

Julian Alvarez, Chercheur associé au laboratoire DeVISU (Université de Valenciennes), Responsable pédagogique du DU APLJ à L’INSPE de Lille Nord-de-France (Université de Lille), Président de l’association Ludoscience, nous livre un article sur le sujet, spécialement pour le blog du site du Learning Hub.

Nous l’en remercions chaleureusement.

Julian ALVAREZ

Ludopédagogie – approche et usages

Mots-clés : Jeux, Jeux sérieux, Jeux numériques, Gamification, Pédagogie

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Résumé : La ludopédagogie c’est l’idée d’utiliser du jeu comme tâche dédiée aux apprentissages. Mais pourquoi vouloir employer du jeu dans un enseignement ou une formation ? Quelles sont les valeurs ajoutées d’une telle approche ?

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Définir la ludopédagogie

La ludopédagogie, c’est l’idée de convoquer du jeu ou encore du jeu sérieux (Serious Game) dans une approche pédagogique. Précisons cependant, qu’il existe plusieurs manières d’employer du jeu dans un cadre pédagogique. Pour Yvan Hochet, nous pouvons positionner l’approche pédagogique “par”, “sur”, “autour” et “avec” du jeu (Hochet, 2013).

“Par le jeu” correspond à l’idée d’utiliser le jeu comme récompense : “si tu fais bien ton exercice, tu pourras jouer”. Le jeu est alors vu comme un élément motivationnel, une carotte, qui peut selon les cas être dissociée des apprentissages réellement visés.

De son côté, “sur le jeu”, signifie que l’on se focalise sur l’étude du jeu lui-même : ce que cela représente, sa structure, ses finalités. Les apprentissages dans le cadre d’études en lien avec le jeu ou encore le jeu vidéo font notamment appels à ce registre.

Pour “autour du jeu”, l’idée est de mener des apprentissages sur les acteurs, les communautés, les groupes organisés, les institutions ou autres industries qui conçoivent, étudient, analysent du jeu. Cela peut ainsi correspondre à un apprentissage visant à expliquer ce que représente la communauté de cosplayers, qui fabriquent et se déguisent en personnages de jeux vidéo ou de séries animées.

Enfin, “avec le jeu”, l’idée est d’employer le jeu comme une médiation : on s’appuie sur le jeu pour illustrer les propos, pour faire vivre une expérience concrète, pour contextualiser un concept…

Pourquoi la ludopédagogie ?

De manière non exhaustive, plusieurs raisons peuvent être associées à l’emploi de la ludopédagogie :

Levier motivationnel : l’idée est d’utiliser le jeu pour engager les participants dans l’atteinte des apprentissages. On s’inscrit ici dans l’approche « par le jeu » dans la mesure où l’on recherche une motivation extrinsèque chez les participants. Mais, employer du jeu pour cet aspect seulement peut s’avérer contre-productif. En effet, si la motivation est importante pour que des participants veuillent apprendre, ce n’est pas nécessaire de rajouter un levier motivationnel pour des sujets déjà motivés par ailleurs, notamment de manière intrinsèque. En effet, dans ce cas, faire usage de leviers motivationnels extrinsèques peut dans certains cas réduire la motivation intrinsèque chez certains sujets. Dans le cadre d’une approche ludopédagogique, il convient donc de bien considérer cet aspect motivationnel et d’associer l’emploi du jeu aux apprentissages pour d’autres raisons encore.

L’apprentissage par essais et erreurs : nous sommes ici dans une approche où s’opère concrètement l’apprentissage avec le jeu. En effet, avec un mode d’apprentissage par essais et erreurs : l’apprenant(e) construit mentalement une « hypothèse » avant de la tester dans le jeu. L’intérêt de l’approche réside dans la possibilité de laisser l’apprenant(e) commettre des erreurs non seulement pour se rendre compte des conséquences qui en découlent, mais aussi pour lui permettre d’adapter sa stratégie d’apprentissage en fonction de situations différentes. L’apprenant(e) doit ainsi affiner son hypothèse jusqu’à trouver la solution qui permette de « gagner ». Attention cependant aux conclusions tirées par les apprenants en autonomie. Leurs conclusions peuvent constituer des raccourcis, recettes, leurres, représentation erronées… Pour y remédier, il est nécessaire de proposer un tutorat en direct pour susciter une approche réflexive chez les apprenants via un débriefing notamment.

La différenciation pédagogique : en jouant avec les niveaux de difficulté d’un jeu, il est possible de prendre en compte les différences de rythme d’apprentissage des apprenants au sein d’un même groupe. Chaque apprenant(e) peut ainsi progresser dans le jeu à son rythme en fonction de son niveau. Il est également possible de jouer sur les objectifs assignés aux différents participants : un participant qui rencontre des difficultés aura moins de contraintes. Quant à celui qui termine toutes ses missions principales rapidement, il pourra lui être proposé de remplir des quêtes annexes avec des niveaux de difficulté plus élevés.

La stimulation des interactions pédagogiques entre apprenant(e)s : des serious games permettent de stimuler les interactions pédagogiques entre apprenant(e)s, à l’image de certains jeux multi-joueurs. Les apprenant(e)s peuvent également être invité(e)s à jouer sur une même machine côte à côte pour stimuler les interactions : se donner des conseils, pointer des informations qui semblent importantes, trouver ensemble des stratégies pour gagner… En effet, celui qui joue est généralement centré sur ses objectifs. Un binôme qui l’accompagne peut disposer d’une vue d’ensemble et ainsi rapporter des informations nécessaires à la progression dans le jeu. Apprentissage par les pairs oui mais n’oublions l’importance du tuteur pour arbitrer les échanges le cas échéant.

Offrir des représentations concrètes : Il est difficile pour certain(e)s apprenant(e)s d’assimiler certaines notions car trop abstraites (formules mathématiques, approches théoriques…). Certains jeux et serious games offrent l’avantage de donner des représentations concrètes et animées qui permettent d’appréhender de telles notions. Par exemple, un célèbre jeu de tir basés sur le lancer d’oiseaux sur des cochons verts est utilisé par des professeurs pour se représenter et calculer des vecteurs.

Pour maximiser les chances d’atteindre les objectifs visés et de suivre l’alignement pédagogique, le jeu ne doit pas être proposé seul. Il doit s’inscrire dans une séquence pédagogique (Tremblay, 2007) où en amont le jeu aura été introduit, expliqué et associé à des objectifs concrets. Puis, en aval, une fois le jeu terminé, il s’agira d’opérer un débriefing. C’est une phase stratégique permettant de recentrer les apprenants sur les objectifs pédagogiques visés tout en opérant notamment une distanciation au regard de l’expérience de jeu proposé. Cette étape effectuée, il sera intéressant de vérifier si une transposition entre l’activité de jeu proposé et des applications concrètes dans le monde quotidien est envisageable. C’est une approche qui a été plusieurs fois éprouvée au sein de l’ENAC de Toulouse avec la formation des futurs contrôleurs aériens notamment.


ALVAREZ, J. (2019), Design des dispositifs et expériences de jeu sérieux, HDR, Université Polytechnique des Hauts-de-France, pp.184-188, https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-02415027v1

HOCHET, Y. (2013). « Evaluer le Serious Gaming : L’expérience autour de Sim City », evirtuoses 2013, VALENCIENNES, (FRANCE).

TREMBLAY, N. (2007). « Formation initiale des enseignants, médiation pédagogique et approche philosophique », in TREMBLAY, N. (dir.), Des pratiques philosophiques en communauté de Recherche en France et au Québec, Presse de l’Université de Laval (PUL), LAVAL, (CANADA), pp. 95-116.

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